Les confidences de Maxime Monfort: "Je voudrais boucler la boucle sur le Tour"
Maxime Monfort (Soudal-Lotto) a passé plus d’un an de sa vie sur les routes du Giro, du Tour et de la Vuelta.
- Publié le 17-07-2019 à 14h29
- Mis à jour le 17-07-2019 à 14h30
Maxime Monfort (Soudal-Lotto) a passé plus d’un an de sa vie sur les routes du Giro, du Tour et de la Vuelta. Mercredi dernier, sur la cinquième étape du Tour qui conduisait le peloton à Colmar, Maxime Monfort a disputé sa… 400e étape d’un grand tour ! Engagé pour la vingtième fois de sa carrière sur une épreuve de trois semaines lors de cette Grande Boucle, le coureur de chez Soudal-Lotto (36 ans) a donc passé plus d’une année de son existence sur les routes du Giro, du Tour et de la Vuelta. Un cap évoqué en vingt questions.
Maxime, vous souvenez-vous de votre tout premier grand tour et de l’état d’esprit dans lequel vous l’aviez abordé ?
"Oui, bien évidemment, c’était sur le Giro 2006 et j’évoluais à l’époque chez Cofidis. L’approche de ce rendez-vous avait été spéciale, car je m’étais cassé la clavicule sur le Tour du Pays basque cinq semaines avant le Grande Partenza… Ma participation était donc compromise, mais je suis remonté sur les rouleaux dès que j’ai pu pour être au départ à Seraing. J’étais habité de certains doutes quant à la réaction de mon organisme sur trois semaines de course, mais cela s’est finalement bien passé. Après, une fois qu’on l’a fait une fois, c’est parti… (rires) Au-delà de cinq ou six jours, la douleur n’augmente plus vraiment, du moins chez moi. Il faut ensuite apprendre à ne pas paniquer quand on a mal aux jambes en descendant l’escalier pour aller au petit-déjeuner certains matins…"
Depuis 2006, vous avez toujours disputé au moins un grand tour chaque année. Était-ce important dans la construction du coureur que vous êtes aujourd’hui ?
"Les premiers permettent de franchir un palier, de gonfler le moteur comme on dit dans le jargon. Mais après trois ou quatre, c’est fini, on atteint une forme de seuil. Sur un grand tour, on atteint des charges d’effort absolument impossibles à simuler à l’entraînement, des intensités très élevées avec un état de fatigue préalable."
Vous avez terminé la Vuelta 2011 à la cinquième place, ce qui constitue votre meilleur résultat sur une épreuve de trois semaines. Comment jugez-vous votre évolution depuis ? Êtes-vous différent ?
"Non, je ne suis pas différent, c’est juste que le poids de mes 36 ans commence à se faire sentir. Je ne me sens pas moins fort, mais je ne peux plus soutenir les mêmes efforts dans la dernière heure de course, même si je reste très proche de mes meilleures valeurs. Le niveau général du peloton a également augmenté. Les meilleurs ne sont pas devenus encore plus forts, mais la marge entre les cadors et ceux qui se situent juste en dessous s’est considérablement réduite, ce qui rend les courses plus difficiles."
Comment résumeriez-vous les différences entre Giro, Tour et Vuelta ?
"Cela n’engage que moi, mais je dirais que le Giro est le plus dur des trois grands tours physiquement et la Vuelta le plus facile et le moins agréable, car c’est devenu une épreuve de spécialistes avec des montées courtes et très raides, des murs de dingues qui ne me conviennent pas. Le Tour, enfin, c’est le summum. Je le savais, mais je m’en rends encore compte cette année, c’est ici que cela se passe…"
Quel est le meilleur coureur de grand tour que vous ayez côtoyé durant toutes ces années ?
"Froome, car c’est sans doute le plus gros moteur. Mon ex-équipier Andy Schleck est, lui, sans doute le plus grand talent que j’ai côtoyé, mais il n’a pas toujours pu exploiter celui-ci pour différentes raisons. Je l’ai vu faire des trucs de dingue à l’entraînement. À l’entame de certains stages hivernaux où il débarquait avec quelques kilos de trop, il était parfois le premier lâché dans les bosses avant de décrocher tout le monde de sa roue sans s’en rendre compte dix jours plus tard…"
Quel est le meilleur compagnon de chambre avec lequel vous ayez cohabité ?
"L’Australien Adam Hansen a été une vraie découverte sur le plan humain. En règle générale, je ne suis pas quelqu’un de très compliqué à vivre. Je préfère partager la chambre avec un gars d’une nature plutôt calme, comme Tiesj Benoot sur ce Tour. Une heure avant de m’endormir, j’aime faire mon truc, qu’on me laissse dans ma bulle."
Quel est le pire hôtel dans lequel vous ayez posé vos valises sur ces grands tours ?
"Il y en a eu quelques uns, même si cela va mieux depuis quelques années (rires)… Je me souviens qu’un jour à Cordoba, il faisait 41°C dehors et notre chambre n’avait pas d’air conditionné. À minuit, je prenais un bain froid pour tenter de me rafraîchir…"
Quel est le col le plus difficile qu’il vous ait été donné de gravir ?
"J’ai l’habitude de dire qu’en tant que pro, ce n’est toujours le profil du col qui fait sa difficulté, mais la manière dont on l’aborde. S’il est placé en première ou en troisième semaine, ce n’est pas la même chose par exemple. S’il s’agit de la première bosse de la journée ou d’une montée finale sur laquelle se jouera le général, cela change aussi les choses… Je crois que le Mortirolo, en Italie, reste tout de même ce que j’ai fait de plus compliqué."
Vous avez désormais passé plus d’un an de votre vie sur les grands tours. Quelle est la journée la plus difficile que vous y ayez vécue ?
"L’étape du Gavia sur le Giro 2014 était absolument horrible. Je n’ai jamais eu aussi froid. Je n’étais pas bien, et dans la descente je ne voyais plus rien avec la neige. J’ai dévalé avec une main sur le frein et une autre qui empêchait les flocons de venir dans mes yeux. Si c’était à refaire, je pense que j’abandonnerais aujourd’hui dans les mêmes conditions. C’était vraiment trop extrême…"
Qu’avez-vous toujours emporté avec vous dans votre valise ?
"Mon oreiller. C’est une garantie d’un certain confort (rires)... J’ai ainsi l’impression d’être toujours dans mon lit."
Quel est le jour le plus chargé en émotion que vous ayez vécu sur un grand tour ?
"La naissance de ma fille Lou, le 9 juillet 2010 alors que j’étais engagé sur le Tour. On en reparle souvent avec ma femme. Je suis content d’avoir eu un second enfant ensuite, mon fils Léo, et d’avoir vécu la naissance normalement, car sans cela j’aurais eu un vrai manque. Mon épouse Laure me dit toujours que j’ai vécu l’arrivée de notre fille d’une manière différente, mais ce n’est pas ce dont on rêve initialement quand on sait qu’on va devenir papa. J’étais encore jeune à l’époque et le vélo avait une place plus importante dans ma vie. Nous avions fait ce choix en concertation avec Laure, mais je ne sais pas si je poserais la même décision actuellement… J’avais vu mon bébé lors de la journée de repos, le dimanche soir, alors qu’elle était née le vendredi. J’avais loué un hélicoptère pour profiter le plus longtemps possible de ce moment et minimiser la durée du voyage."
L’éloignement est-il précisément plus difficile à vivre depuis que vous êtes papa ?
"Cela a été difficile, mais ces derniers temps, on le vit mieux. Les enfants comprennent que cela fait partie de mon job et ma femme a aussi sa vie quand je ne suis pas à la maison. Chacun reprend sa place quand je reviens (rires)…"
Pensez-vous que, dans le cyclisme moderne, un grand tour doit encore durer trois semaines ?
"Oui, car c’est cela qui accentue les différences, provoque certaines défaillances."
Quel est le meilleur moment d’une journée sur un grand tour ?
"Il est parfois très court, mais ce sont les quelques instants qui séparent le franchissement de la ligne de l’arrivée dans le bus. Au niveau mental, on souffle. On pense aux moments de décompression qui arrivent : la douche, le massage, le repas…"
Quelle est l’arrivée d’étape la plus majestueuse que vous ayez vécue ?
"Rien ne remplace les Champs-Élysées. Cela dépasse très largement tout le reste. J’adore Rome, Madrid ou Milan, mais cela n’a rien à voir. C’est tellement mythique ! Quand on y pénètre le dernier jour du Tour, on est toujours envahi d’une grosse émotion."
Combien d’arrivées au sommet doit comporter un grand tour ?
"Je préfère parler d’équilibre global d’un parcours. Il faut que celui soit bien balancé et contiennent tous les ingrédients qui font la beauté du cyclisme. Des étapes propices aux bordures, d’autres pour puncheurs, certaines pour purs grimpeurs avec des cols mythiques…"
Combien de contrats avez-vous déjà signé sur un grand tour ? On sait que la Grande Boucle est un moment important du mercato…
"Un et demi (rires)… Mon passage de chez Cofidis vers HTC s’était fait là. Et puis mon transfert vers Lotto s’est également amorcé sur une épreuve de trois semaines, même si ce n’est pas à ce moment-là que j’a signé."
Le passage de neuf à huit coureurs a-t-il amélioré la sécurité dans le peloton ?
"Non, cela n’a absolument rien changé sur ce plan, comme sur celui du contrôle de la course. J’ai le sentiment que cette décision a été prise par des gens qui ne sont pas parfaitement informés de ce qu’est le cyclisme actuellement."
Qui sera le vainqueur de ce Tour de France ?
"Jusqu’à lundi matin, j’aurais dit Pinot tant son équipe me semblait bien en place et lui en grande forme. Mais avec le temps qu’il a abandonné dans le coup de bordure, cela va maintenant être compliqué… Je crois donc que la première place n’échappera pas à Ineos. Ils n’ont pas donné un coup de pédale de trop depuis le début de ce Tour. Et comme Bernal travaille, je miserais donc sur Thomas par déduction logique."
Où rêvez-vous de disputer votre dernier grand tour ?
"Si je pouvais choisir, ce serait sur le Tour dans le même rôle que celui que j’occupe cette année et avec la même réussite collective. Je sais qu’avec beaucoup de réussite, je peux espérer gagner une étape, mais je dois rester lucide par rapport à cette ambition : ce sera compliqué. Par contre cette année, je vis de super moments sans pression de résultat personnel. Cela change du stress de devoir être à 100 % tous les jours quand on joue un général…"